samedi 4 février 2012

Ben Gazzara le magicien

Ben Gazzara (28 Août 1930 - 3 Février 2012)
Ben Gazzara est mort un 3 Février, le même jour que John Cassavetes, qui lui a offert des rôles touchants, éblouissants, nobles. Gazzara restera à jamais associé à Cosmo Vitelli, perdant magnifique, gérant d’un cabaret où l’argent, et le public, ne rentrent décidément plus. Vitelli, l’un des personnages les plus émouvants du cinéma, rejoint Charlot ; non pas celui des années 1910, petit corps brutal et inconscient, mais celui des Temps Modernes, qui dit à sa compagne de garder la tête haute mais aussi que les lendemains seront – peut-être – plus heureux.
Voyez donc cet instant merveilleux de Meurtre d’un bookmaker chinois où Cosmo sort de son cabaret.
Voyez le visage de Gazzara, le sourire crispé, le regard lucide.
Voyez son approche désespérée vers le videur qui n’a rien à vider, son rire muet et nerveux.
Entendez ses paroles de réconfort, si peu crédibles qu’elles sont renforcées par une légère accolade et un pouce levé.
Entendez l’envoûtante musique de Bo Harwood qui accompagne ses quelques pas, mais qui fait surtout naître la magie dans un lieu désert.
C’est ainsi qu’un groupe arrive, jovial et prêt à entrer dans un cabaret de filles nues, de comiques ratés, de travestis qui chantent Paris. Plus qu’un vœu exaucé, Cosmo réussit son tour de magie : donner à sa troupe des regards, et donc une raison de continuer.
C’est une facette de Cosmo Vitelli, un instant avec Ben Gazzara. Il y en a d’autres.

samedi 14 janvier 2012

J.Edgar de Clint Eastwood

Un homme avance vers son balcon, porté par la liesse d’une foule. Il s’arrête, lève la main, sourit. Au loin, un autre homme semble lui rendre ce salut, debout, sur une décapotable en marche. A plusieurs centaines de mètres, deux hommes fiers se reconnaissent : J. Edgar Hoover, nouveau patron du Federal Bureau of Investigation, et le nouveau Président des Etats-Unis. Son nom importe peu, il est une marionnette miniature qui reconnaît son maître, immense, puissant. Hoover en verra d’autres. Huit. Tous croient le dominer, mais lui seul a accès aux dossiers confidentiels, ces preuves qui révèlent la vraie sexualité d’icônes intouchables. On peut dès lors regretter une chose : le traitement superficiel autour de l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy. Et aussitôt se réjouir de ce manque. Car Clint Eastwood choisit d’aborder, dans J. Edgar, le temps qui passe et la rencontre avec Robert Kennedy n’est pas mise en scène par un petit malin (« Voyez comme le destin va s’abattre sur les Kennedy ! »), mais par un homme à la main sûre (« Robert Kennedy a pour lui la fougue de ma jeunesse perdue »).
Plus que des jeux de miroirs entre passé et présent, Eastwood organise le monde comme un présent maudit, dont on ne peut être fier même si, en surface, les personnages font tout pour maquiller la réalité ; Hoover et Clyde Tolson vont aux courses, comme dans leur jeunesse, mais Tolson fait un malaise ; Hoover et Tolson déjeunent ensemble, le premier reproche au second, momifié, de ne pas assez articuler, comme si la vieillesse n’avait aucune incidence sur son jugement. J. Edgar n’est pas pour autant une œuvre passéiste, même si elle présente, durant deux heures et quart, un homme qui tente de rattraper une vie d’action qu’il n’a pas vécue. Affabulateur, publicitaire de sa propre personne, Hoover se prête effectivement un courage qu’il n’a pas. Le public ne s’y trompe pas. Ses discours projetés au cinéma sont raillés, les spectateurs préférant les gestes violents et burlesques de James Cagney. Sans se fourvoyer dans l’idée facile d’un homme à la recherche de sa virilité, Eastwood évoque plus une personnalité publique qui n’aura de cesse de chercher des regards objectifs sur lui-même. C’est tout le sens de la dernière discussion – bouleversante – entre Hoover et son amant Tolson : il avoue avoir besoin de lui. Si lui comprend le sens amoureux, affectif de ce mot, J. Edgar parle des yeux de Clyde, honnêtes, sans complaisance. Hoover est avant tout un égocentrique, charmé par des femmes qui semblent fascinées par ses récits d’aventure. Clyde cherchera ensuite à écarter ces femmes de son homme.
La confusion d’un film comme J. Edgar porte à croire qu’Eastwood s’intéresse à l’homosexualité latente de son personnage, lui qui est plus amoureux du reflet de son miroir que d’une autre personne. Cet homme fasciné par lui-même ne souhaite pas montrer son corps à sa future secrétaire, à qui il mène une cour d’une délicieuse maladresse. Pour la séduire, il lui présente le système ingénieux de classement de sujets qu’il a inventé. Autant dire qu’il tente de se séduire lui-même, en faisant sentir sa prétendue irrésistible supériorité. Plus tard, lors de la scène de ménage entre Edgar et Clyde, Hoover annonce à Tolson qu’il compte se marier avec une actrice. La scène est une double trahison de son narcissisme : se marier pour prouver aux yeux des autres son hétérosexualité, annoncer ce mariage à un homme qui l’aime pour faire naître en lui un sentiment violent de jalousie et de désir.
La scène qui peut faire glousser, dont tout le monde parlait avant même la sortie du film, n’échappe pas à cette équivoque. A la mort de sa mère, Hoover se travestit et porte la robe de celle qui lui interdisait d’être une jaquette. Le triste rapprochement entre l’homosexualité refoulée et la volonté d’être sa propre mère établirait la sexualité de Hoover comme psychotique, ce qui n’est en aucun cas le propos du film. Là encore, tout n’est qu’une question de regard. Puisque sa mère ne peut plus le voir (le docteur fera même le geste pour fermer des yeux qui l’étaient déjà), J. Edgar doit l’incarner, d’où le miroir duquel il se regarde. Cette glace renforce donc l’immersion du personnage dans une réalité alternative, celle où il se voit comme un homme de terrain, bravant tous les dangers, alors qu’il est un cérébral qui parle à la vitesse de sa pensée[1].
Le tour de force orchestré par Clint Eastwood dans ce film est précisément le détournement du biopic, en ne cherchant pas à restituer un directeur du FBI plus vrai que nature, à rendre une bonne copie, mais en osant s’immiscer dans l’esprit d’un homme qui a eu les honneurs de la nation, et qu’il n’a pas connu. Cette main sûre du cinéaste évoquée auparavant nous épargne le surlignage d’effets subtils qui, en étant précisément appuyés, se videraient automatiquement de leur substance. Au delà du narcissisme du personnage, c’est bien son passéisme qui nous marque. La narration de J. Edgar, particulièrement fluide, convoque les époques, les visages et les voix qui ont épousé la vie de Hoover. Le film se concentre sur l’éternelle dualité des œuvres d’Eastwood, évoquée par Stéphane Bouquet dans son essai Clint Fucking Eastwood, entre la vérité vraisemblable (la légende, Hoover détective) et la vérité vraie (la réalité, Hoover bureaucrate). C’est donc dans les dernières minutes que l’on comprend le trompe-l’œil de J. Edgar, et au fond, de tous les biopic. Aucun film biographique ne peut prétendre à nous faire accéder à la vérité. Presque tous le signalent, dans un imbécile carton introductif. Si J. Edgar est le meilleur film de Clint Eastwood, c’est bien par son extrême humilité qui épouse le cinéma classique tout en consommant le divorce : le cinéma peut prétendre, sinon à la vérité, du moins au fantasme.


[1] Il est surnommé Speedy.

vendredi 30 décembre 2011

Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne de Steven Spielberg



Evoquer l’origine du Tintin de Spielberg ramène toujours à un homme, Serge Daney, qui déjà en 1981, à l’heure des Aventuriers de l’Arche Perdue, s’évertuait à rapprocher les péripéties du docteur Jones de celles du célèbre journaliste belge. Ce montage critique aurait dès lors intéressé Spielberg à l’œuvre d’Hergé, qui lui-même souhaitait voir ses histoires adaptées par le réalisateur de Jaws. L’adaptation du Secret de la Licorne (et de deux autres bandes dessinées) n’arrive pourtant qu’aujourd’hui, et l’étonnement est double.
Ce qui étonne en premier lieu, c’est évidemment le visage de Tintin, qui cristallise à lui seul la formidable technique de performance capture. Tintin n’est ni un dessin, ni Jean-Pierre Talbot ni Jamie Bell : il est un personnage que nous connaissons tous et que nous n’avons jamais vu, une illustration de la curiosité qui jusqu’alors n’était qu’esquissée. C’est tout le sens de l’ouverture du film, qui présente d’abord à nos yeux le Tintin d’Hergé (figé sur une feuille), avant que le vrai Tintin ne nous demande si son portrait lui ressemble. Astucieuse et étonnante présentation du personnage qui d’emblée esquive la critique du spectateur puisqu’il est présenté comme authentique.
Le film de Spielberg s’inscrit dans une convergence technologique où se joignent cinéma et jeu vidéo. C’est ainsi que L.A. Noire, qui utilise le motion scan, sort quelques mois avant Le Secret de la Licorne. Pourtant, les deux œuvres ont des effets antagonistes : si Tintin nous offre un visage définitif qui efface l’interprète pour inscrire le personnage au-delà de la ligne claire, L.A. Noire joue sur son principe de reproductibilité du réel, par les visages d’acteurs de série télé que nous reconnaissons, au-delà des personnages qu’ils incarnent.
Le second étonnement que provoque Le Secret de la Licorne est lié à cette performance capture. Elle permet à Spielberg de décupler cette ambition formelle jusqu’ici représentée par le plan-séquence de La Guerre des Mondes, faisant entrer, sortir et tourner une caméra autour d’une voiture roulant à toute vitesse. Ici, Spielberg peut orchestrer une longue séquence de poursuite en faisant fi du montage alterné entre poursuivis et poursuivants. Rendant hommage au vieux rêve d’André Bazin, qui espérait voir un film en un seul plan[1], le cinéaste s’autorise, durant la spectaculaire poursuite en side-car à Bagghar, les folies auxquelles il ne pouvait rêver avant la performance capture.
La volonté de faire durer un plan, que l’on retrouve autant chez Chaplin que chez De Palma, est motivée par un défi : celui d’organiser le monde selon un cadre défini, un regard choisi par le cinéaste. Pour Spielberg, ne pas structurer sa poursuite en deux espaces (celui de Sakharine et celui de Tintin) permet d’accentuer le danger pour les poursuivis, puisqu’ils sont dans le même espace-cadre que leurs ennemis.
La clef de l’intrigue symbolise donc un nouvel horizon chez Spielberg : derrière le mur, la promesse d’aventures nouvelles.


[1] André Bazin définit la règle du montage interdit en ces termes : Quand l’essentiel d’un événement est dépendant d’une présence simultanée de deux ou plusieurs facteurs de l’action, le montage est interdit.

dimanche 18 décembre 2011

Essential Killing : le son selon Jerzy Skolimowski


"Le film découvrira notre environnement acoustique. La voix des choses, le langage intime de la nature" Béla Balazs, 1930.


Depuis 1991, Jerzy Skolimowski n’a réalisé que trois films. Dix-sept ans séparent Ferdydurke de Quatre nuits avec Anna mais seules trois années séparent ce film d’Essential Killing. Ce symptôme d’une joie de créer retrouvée irrigue le film de Skolimowski, mais aussi une autre œuvre de l’année 2011, The Tree of Life. Tous deux touchent une simplicité du cinéma, une immédiateté de l’idée exprimée par l’image et le son.
Skolimowski nous prépare, par le titre de son film, à une épure du cinéma dans laquelle un personnage va lentement décliner quelques jours durant, dans l’impitoyable nature, avant de s’éteindre, épuisé, à l’aurore.
Le parti-pris radical, et donc essentiel, de Skolimowski est de ne pas faire parler son personnage. Cette absence de verbe est néanmoins logique du fait de la situation de Mohammed, interprété par Vincent Gallo ; seul, au milieu de la nature, la parole ne ferait que surligner des actions que nous voyons à l’écran. L’auteur adopte plutôt une doctrine d’Eisenstein, lequel préconisait une utilisation contrapontique du son par rapport aux images. Le spectateur sera donc grassement nourri, par des images, et des sons qui lui donnent de nouvelles informations, peut-être même des réponses aux plans qui nous questionnent. Cette confrontation fratricide[1] entre l’image et le son préservera sans doute l’enchantement du spectateur face au plus beau film de l’année. Les confrontations sont multiples dans Essential Killing : celle d’un homme avec l’armée, qui reste le fil conducteur de l’histoire, celle d’un homme avec la nature et celle d’un homme avec lui-même.
Les premiers plans du film sont aériens. Les vues sur un désert se succèdent, alors que l’on entend des hélices d’hélicoptère se conjuguer avec des échanges radiophoniques. Le spectateur adopte le point de vue d’un prédateur, que rien ne peut atteindre. La prémonition de la violence est accentuée par le titre, qui apparaît en même temps que des grésillements d’une radio. Cette écoute acousmatique[2] n’est en rien gênée par la succession des plans : nous restons bien dans le même hélicoptère puisque le bruit des hélices ne varie pas.
This helicopter was never here. La mission est secrète, et nous accédons à des images et à des sons qui nous sont interdits.
Lorsque la caméra met pied à terre, pour suivre trois soldats américains, le bruit de l’hélice s’estompe, mais il est remplacé, durant quelques secondes, par celui d’un oiseau, ce qui accrédite l’idée d’un hélicoptère-prédateur, mais aussi celle d’une menace future, d’un mauvais présage.
L’hélicoptère est à nouveau audible, mais cette fois-ci pour rapprocher subtilement, par le son, la menace dans l’espace. Les hélices sont entendues près des trois soldats, à la recherche d’un inconnu, puis par l’objet de leur recherche, qui bénéficie d’un plan subjectif où ces mêmes soldats sont retrouvés. Si le son est plus étouffé, il reste présent et permet de délimiter un cadre sonore, cette ombre, selon le terme de Béla Balázs[3] dont ne pouvait se pourvoir le son en 1930. Ainsi, tout ce qui ne sera pas couvert par le bruit de l’hélicoptère sera hors-champ.
La lutte entre Mohammed et l’hélicoptère qui le poursuivra quelques minutes plus tard est inégale. Les pas du terroriste suivent une ligne droite et sont rendus inaudibles à cause des mitrailleuses de l’hélicoptère qui les encerclent et les font taire.
Au bout de la vingtième minute, un long plan aérien de la forêt enneigée fait suite au regard perdu de Mohammed, les yeux au ciel, l’œil hagard.  Le raccord entre les deux plans est rendu limpide par la musique qui, grâce à un instrument à vent, illustre la profonde solitude du personnage. L’immensité de l’espace qui s’offre au spectateur ne fait qu’accroître la compassion pour le prisonnier avide de liberté. La neige apparaît fatalement comme un linceul. Toutefois, et c’est là tout l’art de Skolimowski, cette compassion va muer en un sentiment diamétralement opposé par l’apparition d’un son, qui devient un leitmotiv : les hélices d’un hélicoptère. Le dispositif du cinéaste (la lenteur du plan, la musique) qui visait à faire ressentir une émotion se retrouve totalement inversé à la fin du plan par la sémantique codale qui est corrompue : la hauteur n’est définitivement pas synonyme de pitié mais d’instinct meurtrier.
Le protagoniste d’Essential Killing n’est pas seulement confronté à l’armée. Seul, dans un milieu hostile qu’il ne connaît pas, il va devoir survivre. La première rencontre de son périple se soldera par la mort de deux américains dans une voiture. Le lien entre Mohammed et la voiture est d’abord sonore ; il entend une musique de source, du hard rock dans une voiture aux portières fermées, et tâtonne apeuré vers elle. Il est, bien plus tard, réveillé par le son d’une tronçonneuse, celle d’un bûcheron, alors qu’il se reposait sous un tronc d’arbre. Simple scène de travail pour ceux qui n’auront pas vu Mohammed. Le son de la tronçonneuse est aussitôt interprété comme une menace par le personnage qui se sent agressé et qui riposte. Le sens du son de la tronçonneuse, une fois détourné, permet à Skolimowski de ne pas filmer la mort du bûcheron, tué par son outil de travail, mais simplement de la suggérer par le son (Michel Chion parle d’acousmatisation) qui est amplifié et le cri de Mohammed. Le vococentrisme, utilisé à bon escient (le personnage ne criera que trois fois dans le film), permet de souligner la gravité et la violence de la scène.
L’importance des voix[4] dans l’œuvre ne peut être négligée. Elles sont l’expression de l’humain, en ce sens qu’il ressent des émotions ne pouvant être contenues. Dans l’univers d’Essential Killing, les voix sont sources de danger : dès les premières minutes, les rires des soldats peuvent trahir leur peur ou leur insouciance, mais surtout leur position. Même peur du côté de Mohammed qui laisse entendre son angoisse par une respiration bruyante, assimilée par un soldat aux pleurs d’un bébé. Plus tard, en étant pris dans un piège à loup, son cri de douleur n’aura pour effet que d’amplifier le bruit des hélices, signe d’une localisation du prisonnier par l’armée. Le vococentrisme devient alors un élément dramaturgique, puisque lié à une évolution narrative majeure.
C’est bien ce dernier combat que doit mener le personnage : une lutte contre lui-même. La maitrise de son corps sera néanmoins compromise par ce qui l’entoure. Ainsi, la déflagration d’un missile en plein désert perturbera son écoute pendant quelques minutes dans le film (mais quelques heures, jours ou mois, dans la diégèse). Un son aigu illustre la désorientation sensorielle de Mohammed durant plusieurs séquences successives. Ici, le son influence l’image puisque le cinéaste ferme presque totalement le diaphragme de sa caméra pour recréer cette impatience bressonienne de l’œil. L’effet d’iris met en image le son entendu, constant et régulier, donc impossible à situer dans l’espace. Le langage n’a plus aucune incidence sur le dialogue, puisque le personnage ne peut entendre ni l’anglais, ni l’arabe.
Si la langue n’a aucune utilité dans le film, la musique peut devenir un langage de substitution, et même une représentation de la douleur du personnage. Vers la quarantième minute du film, Mohammed tente de gravir une pente ardue. Affamé[5], épuisé, il lutte contre son corps pour aller de l’avant. La musique vient ici compléter l’action ; l’instrument à vent pour la fatigue, les percussions pour la faim. Cet instant magnifique est le contraire d’une métaphore sonore : ce sont ici les sons abstraits qui éclaircissent une action, en lui donnant un sens.
Les stratégies de mise en scène sonore instaurées dans Essential Killing permettent de révéler le mécanisme du film : la violence est toujours précédée d’un son trop bruyant, déséquilibrant le règne paisible de l’environnement. Du souffle apeuré jusqu’au bruit de moteur d’une tronçonneuse, la confrontation physique semble inéluctable. Mohammed ne tue pas par plaisir mais par peur. Cette peur transparaît à la fois sur le visage de Vincent Gallo et dans le dispositif sonore de Jerzy Skolimowski. Le cinéaste fait cohabiter l’image et le son, sans les superposer mais en les juxtaposant. Cet évitement de la redondance, cher à Bresson, enrichit d’autant plus Essential Killing en restant fidèle, par une rigueur esthétique, à l’homogénéité, qui est vitale pour le personnage. Comme la neige qui clôt le film, la nature doit rester lisse, monochrome, cristalline.




[1] Confrontation exprimée par Robert Bresson dans ses Notes sur le cinématographe : L'oeil sollicité seul rend l'oreille impatiente, l'oreille sollicitée seule rend l'oeil impatient. Utiliser ces impatiences. Puissance du cinématographe qui s'adresse à deux sens de façon réglable.
[2] La situation d’écoute acousmatique est celle où l’on entend le son sans voir la cause dont il provient.
[3] Dans L’Esprit du cinéma.
[4] Au sens large que lui donne Michel Chion : tous les sons que le corps humain peut produire : voix, rires, pleurs, chuchotements, interjections, respirations…
[5] On le voit manger des fourmis.



lundi 7 novembre 2011

Ceci n'est pas un article

Ecrire pour écrire ne m’intéresse pas. Aussi, écrire pour célébrer les deux années d’existence de Punctum Vertigo m’apparaît comme une contrainte. Si la première année était un cap symbolique, la deuxième ne mérite aucun texte. 
Néanmoins, cet anniversaire peut être l’occasion de révéler certains secrets, certes moins lourds que ceux de Christian dans Festen, qui ont accompagné cette année l’auteur et qui n’ont finalement pas concerné le blog.
Le réveil de Tanguy Viel, les souvenirs de Stanley Cavell, de Matt Reeves et de moi-même, la grâce d’Harpo Marx, l’humour d’Eric Judor, l’ultime mission de Jack Bauer, la vision de Raoul Walsh sur les années vingt.
Quelques idées d’articles évoquées, mais, comme vous le savez, les secrets ne peuvent être pleinement dévoilés, d’autant plus dans un article qui n’en est pas un.