mardi 28 juin 2011

The Tree Of Life de Terrence Malick

Près d’un mois après avoir vu The Tree of Life, quelques heures avant son sacre cannois, certaines images, certains sons, et même certaines émotions restent là, ancrés et bien décidés à rester en mémoire. Ce film de Terrence Malick apparaît comme un véritable problème à résoudre. A la fois meilleur film du cinéaste et plus grande déception, il ne peut être, à mon sens, évoqué autrement qu’à la première personne. Un article consacré à une œuvre peut être tué par l’emploi répété du « je », aussi ai-je décidé de rédiger un journal, qui se fera, jour après jour, le témoin d’une possible mutation de la pensée cinéphile, face à l’un des plus perturbants paradoxes de spectateur : aimer et détester un même film, et souhaiter secrètement qu’il puisse en exister deux, un bon, que l’on admirera, un mauvais, que l’on oubliera.

Samedi 18 Juin 2011 – 03h30 – Un mois après la première vision de The Tree of Life :


Au sortir de la projection de The Tree of Life, je souhaitais que le film n’obtienne pas la Palme d’Or, deux heures plus tard à Cannes. Une heure et demie après, mon souhait initial était oublié, renié. Malick n’a jamais eu de Palme d’Or. Un Prix de la mise en scène en 1979 pour Les Moissons du Ciel, un Ours d’Or à Berlin vingt ans plus tard pour La Ligne Rouge… L’envie de voir un cinéaste délicat récompensé et mis sous le feu des projecteurs, sans doute.
Délicat. Le mot est mal choisi pour The Tree of Life. Un plan m’émeut particulièrement lorsque je pense au panthéisme du cinéaste : dans Les Moissons du ciel, pour illustrer l’acte sexuel entre Bill et Abby, Malick filme la feuille d’une plante, tremblant au rythme des gouttes d’eau qui s’écrasent sur elle. Dans The Tree of Life, les fameuses séquences mystiques auxquelles s’abandonne l’esprit du spectateur constituent une force lyrique (celle des personnages, et celle du cinéaste) et une faiblesse formelle. Le personnage de la mère de famille puise jusqu’au temps des dinosaures pour trouver un appui spirituel à sa douleur, qui paraît dès lors infinie. Ce voyage temporel est sublime, il suscite la crainte et l’émerveillement face à la création de l’univers, tout comme le plan du jeune garçon, bien plus tard dans le film, face à son nouveau petit frère, qu’il tente de comprendre. Voilà le paradoxe de Malick : pour évoquer la douleur d’un deuil, et finalement, la crainte et l’émerveillement face à l’inconnu, une demi-heure lui est nécessaire, alors que plus tard dans le film, un seul plan, de quelques secondes, suffira à susciter cette même émotion.
Un autre exemple, plus frappant encore, lorsque Jack et son petit frère s’amusent à imiter les gens qu’ils croisent dans la rue. Leurs rires sont les nôtres, une complicité palpable s’instaure, pour mieux nous saisir ensuite, quand un infirme marche difficilement dans la rue. Les deux frères sont face à l’incompréhension, et nous, face à la honte d’avoir souri plus tôt.



Samedi 18 Juin 2011 – 07h40 :

Ce qui frappe d’emblée dans The Tree of Life, et le rend immédiatement sympathique, ce sont les clefs du film, données tout de suite par Malick au spectateur. Deux voies possibles : la nature, qui cherche à s’imposer, et la grâce, qui sait se faire oublier. Cette volonté de ne pas perdre le spectateur, en dépit des séquences qui suivront, est peut-être ce qui m’a le plus marqué, et plu, dans ce film.



Mardi 28 Juin 2011 – 16h40 :

En lisant un entretien avec l’un des monteurs de The Tree of Life, paru dans Les Cahiers du mois de Juin, quelle ne fut pas ma surprise en retrouvant un exemple qui m’avait moi-même frappé : celui des enfants confrontés à un handicapé dans la rue. Le monteur, Mark Yoshikawa, explique que le raccord de la marche des enfants avec celle de l’handicapé est fortuit (je le cite : C’est devenu un moment fort sur une sorte de sentiment de culpabilité des enfants, et je ne l’avais pas autant perçu au cours du montage.). L’entretien complet révèle que Terrence Malick a choisi de créer des hasards, de les provoquer par le montage. Ainsi, une même scène pouvait être tournée dans un décor ou un autre. Si l’arrière-plan n’a pas d’influence sur les gestes, seuls comptent les personnages. Celui de la mère, qui apprend la mort de son enfant, vraisemblablement à la guerre : Vietnam, ou Corée, Normandie, Irak, Kosovo, Libye. Celui du père, qui a raté sa vie sociale et qui rate, par la même occasion, sa vie de père. Les envieux ont toujours existé, la jalousie et les inégalités aussi. Celui du fils, qui apprend ses limites en les dépassant, qui se soumet à l’autorité paternelle avant de s’y opposer. Ces trois personnages, bien qu’ancrés dans le Texas des années 1950, celui de l’enfance de Malick, nous appartiennent et nous ressemblent. Atemporels, ils peuvent s’évader vers un passé proche (Jack adulte, aujourd’hui, qui revoit sa vie d’enfant), lointain (l’origine du monde, le voyage vers le sublime et les questions existentielles qui nous dépassent et nous déchainent), ou un futur spirituel, où l’on peut pardonner ceux qui ne sont plus là. Un film de personnages : une piste prometteuse, à approfondir.


Mercredi 29 Juin – 17h45 :

En revoyant quelques instants Eyes Wide Shut, je me suis rendu compte de l’ancrage du film dans son époque. Kubrick n’a pas toujours fait des films historiques, il a souvent situé ses histoires dans une époque contemporaine (Le Baiser du tueurThe Killing), mais son dernier film, en couleurs, à l’aube d’une nouvelle décennie, et d’un nouveau siècle, semble prendre place aujourd’hui. Le plaisir de (sa)voir un grand cinéaste dans son époque est le même, pour Kubrick ou Malick. Car The Tree of Life s’inscrit aussi dans un présent, ce qui est une première pour le réalisateur. Tous ses films pouvaient être qualifiés d’historique, de La Balade Sauvage (vingt ans de différence) au Nouveau Monde (qui se déroule au XVIIe siècle). Ici, Malick montre, pour quelques minutes, notre monde, une vie moderne, urbanisée, vive, amnésique ; il montre les gratte-ciel – joli mot pour ce film – les ascenseurs, les bureaux, les fenêtres, les téléphones portables, les autoroutes, les lumières de la ville[1].

Samedi 23 Juillet – 16h30 :

Je n’ai toujours pas revu The Tree of Life. A l’instant, l’une des premières scènes du film m’est revenue, comme un souvenir : la mère apprend la mort d’un de ses enfants par un télégramme. Le souvenir est flou, mais il me semble que la scène est silencieuse, ou du moins, sans paroles. Malick se sert d’un cliché vu entre autres dans Il faut sauver le soldat Ryan (qui avait porté préjudice à La Ligne Rouge dans la course aux Oscars en 1999), celui de la mère, seule, redoutant le deuil, pour l’épurer totalement, et lui redonner sa dimension première, intérieure. En évitant l’évanouissement, les pleurs, les cris de douleur, il se conforme à l’école hitchcockienne en essayant de faire passer un maximum d’informations par l’image afin d’éviter tout dialogue superflu. C’est par le mouvement du personnage, du perron de sa maison jusqu’à son téléphone, que le doute s’installe. Nous savons que quelque chose de grave est arrivé, puisque la mère appelle son mari, alors sur son lieu de travail. 
Le souvenir est ensuite trop flou. Repenser au / le film deux mois et un jour après l’avoir vu, en se posant des questions auxquelles nous n’avons plus les réponses reste sidérant. Il faut revoir The Tree of Life.



[1] Malick utilise le même effet de couleurs que Scorsese dans Taxi Driver, qui lui, présentait la ville de New York et ses excès.

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