vendredi 30 décembre 2011

Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne de Steven Spielberg



Evoquer l’origine du Tintin de Spielberg ramène toujours à un homme, Serge Daney, qui déjà en 1981, à l’heure des Aventuriers de l’Arche Perdue, s’évertuait à rapprocher les péripéties du docteur Jones de celles du célèbre journaliste belge. Ce montage critique aurait dès lors intéressé Spielberg à l’œuvre d’Hergé, qui lui-même souhaitait voir ses histoires adaptées par le réalisateur de Jaws. L’adaptation du Secret de la Licorne (et de deux autres bandes dessinées) n’arrive pourtant qu’aujourd’hui, et l’étonnement est double.
Ce qui étonne en premier lieu, c’est évidemment le visage de Tintin, qui cristallise à lui seul la formidable technique de performance capture. Tintin n’est ni un dessin, ni Jean-Pierre Talbot ni Jamie Bell : il est un personnage que nous connaissons tous et que nous n’avons jamais vu, une illustration de la curiosité qui jusqu’alors n’était qu’esquissée. C’est tout le sens de l’ouverture du film, qui présente d’abord à nos yeux le Tintin d’Hergé (figé sur une feuille), avant que le vrai Tintin ne nous demande si son portrait lui ressemble. Astucieuse et étonnante présentation du personnage qui d’emblée esquive la critique du spectateur puisqu’il est présenté comme authentique.
Le film de Spielberg s’inscrit dans une convergence technologique où se joignent cinéma et jeu vidéo. C’est ainsi que L.A. Noire, qui utilise le motion scan, sort quelques mois avant Le Secret de la Licorne. Pourtant, les deux œuvres ont des effets antagonistes : si Tintin nous offre un visage définitif qui efface l’interprète pour inscrire le personnage au-delà de la ligne claire, L.A. Noire joue sur son principe de reproductibilité du réel, par les visages d’acteurs de série télé que nous reconnaissons, au-delà des personnages qu’ils incarnent.
Le second étonnement que provoque Le Secret de la Licorne est lié à cette performance capture. Elle permet à Spielberg de décupler cette ambition formelle jusqu’ici représentée par le plan-séquence de La Guerre des Mondes, faisant entrer, sortir et tourner une caméra autour d’une voiture roulant à toute vitesse. Ici, Spielberg peut orchestrer une longue séquence de poursuite en faisant fi du montage alterné entre poursuivis et poursuivants. Rendant hommage au vieux rêve d’André Bazin, qui espérait voir un film en un seul plan[1], le cinéaste s’autorise, durant la spectaculaire poursuite en side-car à Bagghar, les folies auxquelles il ne pouvait rêver avant la performance capture.
La volonté de faire durer un plan, que l’on retrouve autant chez Chaplin que chez De Palma, est motivée par un défi : celui d’organiser le monde selon un cadre défini, un regard choisi par le cinéaste. Pour Spielberg, ne pas structurer sa poursuite en deux espaces (celui de Sakharine et celui de Tintin) permet d’accentuer le danger pour les poursuivis, puisqu’ils sont dans le même espace-cadre que leurs ennemis.
La clef de l’intrigue symbolise donc un nouvel horizon chez Spielberg : derrière le mur, la promesse d’aventures nouvelles.


[1] André Bazin définit la règle du montage interdit en ces termes : Quand l’essentiel d’un événement est dépendant d’une présence simultanée de deux ou plusieurs facteurs de l’action, le montage est interdit.

2 commentaires:

François Jost a dit…

Le seul problème dans ce rapprochement de Spielberg et de Bazin, c'est que "le montage interdit" était indissolublement lié à l'idée que le cinéma est l'empreinte du monde. Dès lors, que nous sommes dans un univers d'images-icônes, le plan-séquence perd sa vertu heuristique, qui tenait à ce que JM Schaeffer a appelé le "savoir de l'arché".

Cédric Bouchoucha a dit…

C'est évidemment le problème que soulève l'article: la performance capture peut-elle être considérée comme réelle ? Puisque la performance capture rend la diégèse irréelle, peut-on considérer celle-ci comme un nouveau réel ?
Un passage du texte de Bazin peut illustrer mon propos sur le plan-séquence de Bagghar : "Par exemple, il n'est pas permis au réalisateur d'escamoter par le champ, contre-champ, la difficulté de faire voir deux aspects simultanés d'une action."
C'est cette honnêteté de Spielberg que je souligne dans mon article: au moyen de la performance capture, il ne truque pas, ne cherche pas à nous présenter de l'émotion par le montage lors d'une poursuite qui n'en nécessite pas. Nous, spectateurs, sommes juges de la distance séparant le poursuivi du poursuivant et, conséquemment, du danger encouru.

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